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moyens, et la facile complaisance avec laquelle les gens de lettres accueillent ou pardonnent les trahisons. Ce
qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme, est un sentiment qui manque à l'amour, la certitude.
Ces jeunes gens étaient sûrs d'eux-mêmes : l'ennemi de l'un devenait l'ennemi de tous, ils eussent brisé leurs
intérêts les plus urgents pour obéir à la sainte solidarité de leurs coeurs. Incapables tous d'une lâcheté, ils
pouvaient opposer un non formidable à toute accusation et se défendre les uns les autres avec sécurité.
Egalement nobles par le coeur et d'égale force dans les choses de sentiment, ils pouvaient tout penser et se
tout dire sur le terrain de la science et de l'intelligence ; de là l'innocence de leur commerce, la gaieté de leur
parole. Certains de se comprendre, leur esprit divaguait à l'aise ; aussi ne faisaient-ils point de façon entre
eux, ils se confiaient leurs peines et leurs joies, ils pensaient et souffraient à plein coeur. Les charmantes
délicatesses qui font de la fable DES DEUX AMIS un trésor pour les grandes [Dans le Furne " grands ", coquille.] âmes
étaient habituelles chez eux. Leur sévérité pour admettre dans leur sphère un nouvel habitant se conçoit. Ils
avaient trop la conscience de leur grandeur et de leur bonheur pour le troubler en y laissant entrer des
éléments nouveaux et inconnus.
Cette fédération de sentiments et d'intérêts dura sans choc ni mécomptes pendant vingt années. La mort,
qui leur enleva Louis Lambert, Meyraux et Michel Chrestien, put seule diminuer cette noble Pléiade. Quand,
en 1832, ce dernier succomba, Horace Bianchon, Daniel d'Arthez, Léon Giraud, Joseph Bridau, Fulgence
Ridal allèrent, malgré le péril de la démarche, retirer son corps à Saint-Merry, pour lui rendre les derniers
devoirs à la face brûlante de la Politique. Ils accompagnèrent ces restes chéris jusqu'au cimetière du
Père-Lachaise pendant la nuit. Horace Bianchon leva toutes les difficultés à ce sujet, et ne recula devant
aucune ; il sollicita les ministres en leur confessant sa vieille amitié pour le fédéraliste expiré. Ce fut une
scène touchante gravée dans la mémoire des amis peu nombreux qui assistèrent les cinq hommes célèbres. En
vous promenant dans cet élégant cimetière, vous verrez un terrain acheté à perpétuité où s'élève une tombe de
gazon surmontée d'une croix en bois noir sur laquelle sont gravés en lettres rouges ces deux noms :
MICHEL CHRESTIEN. C'est le seul monument qui soit dans ce style. Les cinq amis ont pensé qu'il fallait
rendre hommage à cet homme simple par cette simplicité.
Dans cette froide mansarde se réalisaient donc les plus beaux rêves du sentiment. Là, des frères tous
également forts en différentes régions de la science, s'éclairaient mutuellement avec bonne foi, se disant tout,
même leurs pensées mauvaises, tous d'une instruction immense et tous éprouvés au creuset de la misère. Une
Etudes de moeurs. 2e livre. Scènes de la vie de province. T. 4. Illusions perdues. 2. Un grand homme de pro
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Illusions perdues. 2. Un grand homme de province à Paris
fois admis parmi ces êtres d'élite et pris pour un égal, Lucien y représenta la Poésie et la Beauté. Il y lut des
sonnets qui furent admirés. On lui demandait un sonnet, comme il priait Michel Chrestien de lui chanter une
chanson. Dans le désert de Paris, Lucien trouva donc une oasis rue des Quatre-Vents.
Au commencement du mois d'octobre, Lucien, après avoir employé le reste de son argent pour se
procurer un peu de bois, resta sans ressources au milieu du plus ardent travail, celui du remaniement de son
oeuvre. Daniel d'Arthez lui brûlait des mottes, et supportait héroïquement la misère : il ne se plaignait point,
il était rangé comme une vieille fille, et ressemblait à un avare, tant il avait de méthode. Ce courage excitait
celui de Lucien qui, nouveau venu dans le Cénacle, éprouvait une invincible répugnance à parler de sa
détresse. Un matin, il alla jusqu'à la rue du Coq pour vendre l'Archer de Charles IX à Doguereau, qu'il ne
rencontra pas. Lucien ignorait combien les grands esprits ont d'indulgence. Chacun de ses amis concevait les
faiblesses particulières aux hommes de poésie, les abattements qui suivent les efforts de l'âme surexcitée par
les contemplations de la nature qu'ils ont mission de reproduire. Ces hommes si forts contre leurs propres
maux étaient tendres pour les douleurs de Lucien. Ils avaient compris son manque d'argent. Le Cénacle
couronna donc les douces soirées de causeries, de profondes méditations, de poésies, de confidences,, de
courses à pleines ailes dans les champs de l'intelligence, dans l'avenir des nations, dans les domaines de
l'histoire, par un trait qui prouve combien Lucien avait peu compris ses nouveaux amis.
- Lucien mon ami, lui dit Daniel, tu n'es pas venu dîner hier chez Flicoteaux, et nous savons pourquoi.
Lucien ne put retenir des larmes qui coulèrent sur ses joues.
- Tu as manqué de confiance en nous, lui dit Michel Chrestien, nous ferons une croix à la cheminée et
quand nous serons à dix...
- Nous avons tous, dit Bianchon, trouvé quelque travail extraordinaire : moi j'ai gardé pour le compte
de Desplein un riche malade, d'Arthez a fait un article pour la Revue encyclopédique, Chrestien a voulu aller
chanter un soir dans les Champs-Elysées avec un mouchoir et quatre chandelles ; mais il a trouvé une
brochure à faire pour un homme qui veut devenir un homme politique, et il lui a donné pour six cents francs
de Machiavel ; Léon Giraud a emprunté cinquante francs à son libraire, Joseph a vendu des croquis, et
Fulgence a fait donner sa pièce dimanche, il a eu salle pleine.
- Voilà deux cents francs, dit Daniel, accepte-les et qu'on ne t'y reprenne plus. [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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